Cela ressemble à une parodie et, pourtant, c’est la réalité ! Voici nos ministres intègres et conseillers vertueux qu’on croirait sortis de Ruy Blas, avec leurs turpitudes inscrites sur leurs visages empoudrés ! Nos chefs d’État et de gouvernement, nos excellences et altesses qui posent sempiternellement pour la même photo, l’air satisfait d’avoir refait le monde, alors qu’ils n’ont changé que la chorégraphie de leur positionnement autour du chef !
L’année dernière, au sommet de l’OTAN de Washington, le boss, c’était « grandpa » Biden, sourire figé et air perdu, s’en allant saluer un ami imaginaire. Cette année, à La Haye, les 24 et 25 juin, c’est « daddy » Trump, pressé d’en finir et de reprendre Air Force One pour poster tranquille sur Truth Social. En réalité, on perçoit de mieux en mieux que ces grandes réunions internationales ne sont que des simulacres organisés pour entretenir une fiction hollywoodienne : The show must go on !
En Europe, la situation économique est telle et les marges de manœuvre tellement étroites qu’il est impossible de décider quoi que ce soit de sérieux. Donc on fait semblant quitte à sombrer dans le « réalisme socialiste » à la soviétique : ne pas montrer les choses comme elles sont, mais comme elles devraient être dans le monde parfait de l’idéologie1.
Ainsi, dans un mouvement quasi unanime, les membres européens de l’OTAN se sont engagés à augmenter leurs dépenses de défense à 5 % du PIB d’ici 2035. Oui, mais attention ! Cet objectif n’est pas une obligation formelle, et aucun pays ne risque de sanction en cas de non-respect. Pour mettre tout le monde à l’aise et donner du temps au temps, le secrétaire général de l’OTAN Mark Rutte a indiqué que les contributions nationales ne seront évaluées qu’en 2029, ce qui laisse une large marge de manœuvre et limite l’impact immédiat de la mesure. Pour ceux qui auraient loupé un épisode, Mark Rutte, ancien Premier ministre néerlandais, avec sa raie sur le côté et sa tête de premier de la classe, est le « fiston » bien sage qui n’a pas hésité à suggérer, à La Haye, que Donald Trump était le « papa » (daddy) qui haussait la voix pour mettre de l’ordre dans la famille.
En réalité, aucun pays européen de l’OTAN n’a les moyens budgétaires de financer une dépense de défense à 5 % du PIB. On sait l’Allemagne et la France en récession et les autres membres, même ceux qui s’en sortent le mieux économiquement, font face à des contraintes économiques majeures qui rendent l’objectif fixé irréaliste et purement symbolique tellement il est peu probable qu’il soit atteint, même dans dix ans.
De plus, il apparaît clairement que toute hausse des budgets de défense, même infime, ne bénéficierait pas aux entreprises du Vieux Continent mais à leurs concurrents américains. L’industrie militaire européenne souffre de fragmentation, de redondances et d’inefficacités. Des entreprises comme BAE Systems (Royaume-Uni) et Airbus (France) tirent leurs revenus principalement de secteurs civils ou d’activités aux États-Unis. Des consortiums comme MBDA (missiles et systèmes de missiles) sont des exceptions, mais la plupart des entreprises européennes ne rivalisent pas avec les géants américains comme Lockheed Martin ou Raytheon. Pour couronner le tout, l’Europe manque de capacités dans les technologies émergentes, notamment l’intelligence artificielle appliquée à la défense, et dépend de quelques acteurs comme ASML (Pays-Bas) pour l’équipement de fabrication de semi-conducteurs.
Un autre problème majeur est celui des effectifs. À quoi bon augmenter les budgets et acheter à prix d’or des armements aux États-Unis s’il n’y a pas suffisamment de soldats pour s’en servir. Sans oublier que l’entretien des équipements militaires exige une main-d’œuvre qualifiée. Or, les armées européennes souffrent d’un manque de personnel et de difficultés critiques de recrutement. L’Allemagne envisage d’avoir recours à la conscription, mais cette mesure est tellement chère financièrement et risquée politiquement, tant à l’intérieur qu’à l’international (la remilitarisation du pays ne serait pas très bien perçue par ses voisins) qu’elle restera selon toute vraisemblance au stade des vœux pieux.
C’est donc à un jeu d’apparences que les Européens – à l’exception de l’Espagne2 – ont participé : faire semblant d’approuver les 5 % aux calendes grecques pour maintenir la fiction de l’unité du bloc atlantique tout en sachant très bien que les promesses ne les engagent pas : à la date d’échéance, il est probable qu’aucun d’entre eux ne sera plus au pouvoir… à commencer par Donald Trump.
Mais le théâtre de l’absurde va plus loin : les Européens ont accepté une hausse – virtuelle – de leur participation financière en échange d’une diminution – réelle – de la protection que l’Alliance est censée leur accorder. Jusqu’à présent, chaque État membre se croyait protégé par l’article 5 de la Charte qui stipule qu’une attaque armée contre un ou plusieurs d'entre eux est considérée comme une attaque contre tous les membres. Évidemment, chaque État a toujours été libre de décider de sa réponse et des moyens utilisés, mais le principe d’une riposte écrasante, en particulier des États-Unis, semblait acquis et suffisait à garantir un sentiment de sécurité collective. Or, à La Haye, le président Trump a mis à mal cette confiance et précisant que l’article 5 laissait une latitude d’interprétation et n’imposait pas une réaction automatique…
C’est sans doute la nouvelle algèbre : « 5 % + Art. 5 = 0 »
Cette sortie du président des États-Unis n’a pas manqué de plonger les exégètes de la volatile parole trumpienne dans la perplexité la plus profonde : a-t-il voulu dire que si les actions irréfléchies d’un membre de l’OTAN entraînaient une réponse sur son sol d’un adversaire potentiel, les États-Unis ne se sentiraient pas forcément obligés d’intervenir ? Visait-il les velléités franco-germano-britanniques d’intervention en Ukraine ?
L’Ukraine qui, en dépit de la présence de Volodymyr Zelensky, pour une fois en veston, a été pratiquement absente des débats et du communiqué final du sommet. Elle n’est mentionnée que de manière concise par la réaffirmation de l'engagement des Alliés à lui fournir un soutien durable. Le texte indique : « Les Alliés réaffirment leurs engagements souverains durables à fournir un soutien à l'Ukraine (…) et, à cette fin, incluront les contributions directes à la défense de l'Ukraine et à son industrie de défense dans le calcul des dépenses de défense des Alliés. » Contrairement aux sommets précédents (comme ceux de Vilnius en 2023 ou Washington en 2024), le communiqué ne mentionne pas la perspective d'une adhésion à l'OTAN. Il n'y a aucune référence à un « chemin irréversible » vers l'adhésion ou à des promesses d'intégration future, ce qui marque une régression notable par rapport aux déclarations antérieures.
Le document, qui ne compte que cinq paragraphes, est le plus court en 30 ans. Cette brièveté reflète la vanité de l’exercice : il n’y a presque rien à dire parce que tout le discours volontariste des années précédentes sur l’adhésion de l’Ukraine et la défense de l’Europe contre l’agression russe a été abandonné en raison de la position de Donald Trump. Il apparaît clairement aujourd’hui que le seul but de l’OTAN, le seul ferment de cohésion était l’expansion. Dès lors que cet objectif est – provisoirement ? – abandonné, l’Alliance atlantique apparaît pour ce qu’elle est : un organisme d’un autre âge conçu pour faire face à une menace qui n’existe plus. En d’autres termes, un décor de cinéma hollywoodien en carton-pâte, peuplé de figurants hagards, récitant un script auquel personne ne croit, même si certains s’efforcent de faire durer le spectacle parce que c’est leur seule manière de continuer à exister politiquement.
C’est d’ailleurs ce que revendiquait, toute honte bue, Delphine Ernotte, la présidente de France Télévisions, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le 5 juillet 2023 : « On essaie de représenter la France telle qu’on voudrait qu’elle soit ».
Le président du gouvernement Pedro Sánchez pouvait difficilement accepter, même pour la frime, au risque de perdre sa fragile majorité aux Cortes.