Visiblement, Donald Trump a reculé. De la posture préguerrière, genre « je suis très mécontent de Vladimir Poutine et je vais prendre dès lundi des décisions terribles », il est passé en mode temporisateur au grand dam de son partenaire de golf, le sénateur Lindsey Graham qui, dans une interview dimanche 13 juillet, voyait déjà « un tournant » dans la guerre avec des flots d’armes occidentales se déversant sur l’Ukraine et des sanctions terriblement écrasantes tombant sur la Russie et ses partenaires.
Nous suggérions dans un précédent article que le président Trump, en revêtant les habits de matamore, répondait à des pressions de politique intérieure face aux néoconservateurs peuplant le Sénat. Cela semble d’autant plus vrai que, après réflexion, il a initié une prudente marche arrière en édulcorant son « vous-allez-voir-ce-que-vous-allez-voir » pour annoncer : 1) des livraisons d’armes étatsuniennes à l’OTAN pour remise à un pays tiers (l’Ukraine), mais à condition que les Européens les paient ! 2) des sanctions supplémentaires sur la Russie et ses partenaires si un cessez-le-feu n’était pas accepté dans les 50 jours.
Pourquoi 50 et non pas 30 ou 120 ? Mystère. De toute manière, cela n’a pas grande importance étant donné la tendance du président à changer d’avis comme de casquette MAGA. Il est cependant possible et plausible que l’hôte de la Maison Blanche ait jugé ce laps de temps suffisant pour diluer l’attention et jouer sur l’évolution des événements. Évidemment, le sénateur Graham a masqué sa frustration en soutenant ce plan avec l’aplomb d’un arracheur de dents : « Si Poutine et d'autres se demandent ce qui se passera au 51e jour, je leur suggérerai d'appeler l'ayatollah. »
L’idée magistrale de vendre des armes aux Européens et otaniens, à charge pour eux de les livrer (gratuitement) à l’Ukraine, s’est heurtée d’emblée à l’hostilité d’un certain nombre de pays européens, à commencer par la France, l’Italie et la République tchèque qui veulent bien aider l’Ukraine, mais avec leurs propres productions et moyens. L’Espagne s’était déjà désolidarisée de l’augmentation de son budget de défense préconisée lors du récent sommet de l’OTAN. L’hostilité de la Hongrie et de la Slovaquie est connue, ainsi que le manque de moyens de la Grèce. Quant à la Turquie, elle ne s’est pas prononcée, mais on sait qu’elle a d’autres théâtres d’opérations à fouetter.
La presse internationale n’a pas manqué de souligner le caractère peu réaliste de la proposition trumpienne. Cependant, l’idée que, malgré tout, en changeant d’approche l’Ukraine peut encore gagner est toujours présente au détour d’un paragraphe : comme on le sait, le diable est dans les détails. Un article du journaliste britannique Ben Aris, rédacteur en chef de Business New Europe, nous en offre une illustration inattendue. Dans son analyse, il dresse un constat alarmant : en dépit des annonces de soutien occidental, l’Ukraine reste dans une position précaire face à une Russie déterminée à poursuivre le conflit. Non seulement le président Vladimir Poutine ignore les menaces de sanctions secondaires américaines, mais encore il sait que d’éventuelles nouvelles livraisons d’armes de l’OTAN à l’Ukraine n’auront pas grand effet sur le champ de bataille. Cette position (que l’auteur qualifie d’« obstination ») est facilitée par la résilience de l’économie russe qui peut permettre au pays de maintenir l’effort de guerre pendant des années.
Du côté ukrainien, poursuit-il, la situation est critique. L’Ukraine manque cruellement de munitions pour ses systèmes Patriot, et les livraisons d’armes promises par l’Occident, notamment par les États-Unis, restent insuffisantes. De plus, l’Allemagne continue de bloquer l’envoi de missiles Taurus à longue portée, et la production américaine de missiles Patriot (600 par an) est largement inférieure à celle de la Russie (1 200 missiles par an). Bien qu’efficace dans la production de drones, l’Ukraine reste démunie face à la guerre de missiles, la laissant vulnérable sans un soutien américain massif.
Quant à l’Europe, elle est divisée, explique l’auteur. Il met en lumière les fractures au sein de l’UE qui fragilisent la réponse collective à la Russie. Des pays comme la Hongrie, la Slovaquie et Malte s’opposent au dix-huitième paquet de sanctions visant à éliminer les importations de gaz russe d’ici 2028. De plus, poursuit-il, lesdites sanctions ont davantage nui à l’économie européenne par « effet boomerang », alors que les propositions de dépenses massives pour la défense (jusqu’à 5 % du PIB) sont jugées insoutenables pour les budgets européens. L’UE est également confrontée à des tensions internes. La Pologne bloque illégalement le transit de produits agricoles ukrainiens, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, fait face à des critiques de ses alliés. Ces divisions, combinées à l’incapacité de l’Occident à fournir un soutien militaire décisif, laissent l’Ukraine dans une position de plus en plus précaire.
Mais voici où le bât blesse : après ce constat lucide, Ben Aris propose une solution audacieuse. Une alternative stratégique qui pourrait permettre à l’Ukraine de sortir gagnante du conflit et provoquer l’effondrement du « régime de Poutine ». Quelle serait cette nouvelle Wunderwaffe politique ? Rien de moins que d’accélérer l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne pour non seulement renforcer le pays, mais aussi déstabiliser la Russie sans recourir à la force militaire. Une Ukraine prospère, intégrée à l’UE et dépassant la Russie en termes de niveau de vie, aurait un impact psychologique et politique majeur sur la population russe, qui entretient des liens familiaux et culturels étroits avec l’Ukraine. Ben Aris soutient que cet effet pourrait ébranler la popularité de Poutine, dont le soutien (supérieur à 80 %) repose en partie sur l’idée que l’Ukraine illustre l’échec des aspirations européennes.
L’auteur cite en exemple les succès de la Pologne, dont l’économie a doublé depuis son adhésion à l’UE (en 2004), et de l’Irlande, transformée par les fonds européens. Il prévoit le même avenir pour l’Ukraine qui a déjà progressé dans son processus d’adhésion, avec des avancées dans l’alignement de ses lois sur le marché intérieur et l’énergie verte. Cependant, des défis subsistent, notamment dans les domaines de la justice, des droits de propriété et de la lutte contre la corruption, ainsi que dans le secteur agricole, dont l’ampleur (nécessitant 186 milliards EUR de subventions annuelles) dépasse les capacités actuelles de l’UE.
En dépit de ces obstacles, le Commissaire européen à l’élargissement, Madame Marta Kos, estime que l’Ukraine pourrait rejoindre l’UE dès 2030. Pour Ben Aris ce serait une chance : alors que l’économie russe risque de stagner en raison de ses dépenses militaires, des investissements massifs dans la reconstruction et la transformation économique de l’Ukraine pourraient lui permettre de dépasser la Russie rapidement, sapant ainsi la légitimité de Poutine, en incitant les Russes à remettre en question leur propre régime.
En conclusion, l’auteur estime que la stratégie actuelle de l’Occident, consistant à fournir des armes en quantités insuffisantes pour un conflit prolongé, est vouée à l’échec. Il propose de réorienter les efforts vers l’intégration européenne de l’Ukraine, une approche moins coûteuse, plus durable et potentiellement plus efficace pour affaiblir la Russie.
On ignore quelles substances Monsieur Aris a utilisées pour planer à un tel niveau stratosphérique. Ses prémisses contredisent ses conclusions. Pour commencer, que restera-t-il de l’Ukraine en 2030 si la guerre se poursuit ? Quelles seront ses frontières et sa population ? Dans quel état sera son économie, déjà soutenue à bout de bras et à fonds perdus par les pays occidentaux ? Ben Aris semble aussi oublier qu’il faut l’unanimité des États membres pour admettre un nouveau pays dans le club. Et que l’article 49 du Traité sur l’Union européenne et les critères de Copenhague établis en 1993 disposent, entre autres, que ledit pays ne doit pas avoir de litige frontalier et respecter les droits des minorités !
De plus, les pays membres doivent s’entendre pour « accélérer l’adhésion ». Or, que constate-t-on ? Au lieu de la « coalition des volontaires » voulue par le trio Macron-Starmer-Merz, c’est une « alliance des réfractaires » qui semble naître entre les pays européens qui voient de plus en plus l’Ukraine comme un boulet qui saigne leurs économies. Et qui peut croire que la Pologne accepterait de gaieté de cœur – et sans mettre en œuvre toutes les manœuvres dilatoires à sa disposition – de sacrifier son agriculture sur l’autel de l’amitié avec une Ukraine dont les autorités rechignent même à reconnaître les massacres de Volhynie commis par les bandéristes en 1943.
Dans son texte, Ben Aris nous offre un exemple chimiquement pur de pensée magique. D’abord il suppose que l’Union européenne est riche et le restera éternellement, ou du moins pour les vingt – ou trente – ans qui viennent, le temps d’aider l’Ukraine, nouveau membre, à reconstruire une économie digne de ce nom et donner à sa population un niveau de vie comparable disons à celui de la Pologne. Ensuite, il suppute que la Russie va rester en « économie de guerre », sans évolution, bloquée par des sanctions qu’il juge lui-même inefficaces. Et, pour couronner le tout, il fantasme un « régime de Poutine » qui durerait tout ce temps ne varietur. Est-ce bien sérieux ?